La montagne chez Claudel et Segalen

Mardi 08 Décembre 2020-00:00:00
' Ayman Elghandour

Claudel et Segalen ont traité la montagne qui a offert de multiples facettes à l’imagination des poètes au point qu’il existe une littérature de montagne. Celle-ci symbolise la protection et la frontière. C’est un obstacle à franchir qui présente au voyageur une expérience différente. Odile Gannier dit que la montagne est une « table d’orientation d’où l’on peut embrasser le paysage : c’est une ressource fréquente pour motiver la description ».   

Claudel est fasciné par la solitude de la montagne où il délaisse la vie mondaine. Il y trouve le silence, opposé au bruit des villes. La montagne lui offre l’inspiration littéraire. Le poète avait l’habitude, dès 1901, d’y aller de temps à autre pour écrire sa Connaissance de l’Est. Cependant ce livre contient un seul poème intitulé « Vers la montagne » dont le titre déçoit. Claudel y décrit les Chinois qu’il a rencontrés sur sa route, ainsi que les animaux et les champs de riz. Pour cela, nous pouvons dire que la montagne est absente malgré son existence dans l’ouvrage claudélien.  

Par contre, la montagne est fortement présente aux chapitres 7, 8 et 9 d’Equipée. Segalen n’y va pas par hasard, mais il s’est bien préparé tout en possédant des instruments scientifiques : curvimètre, baromètre, télémètre, podomètre...etc. Ces outils l’aident à bien observer. Il substitue au système européen qui utilise les kilomètres, le « li » mesure inventée par les Chinois. Cette mesure est souple et change selon la force du piéton et la nature du terrain parcouru. Segalen dit qu’« il ya des li pour la plaine et des li de montagne. Un pour l’ascension, un autre pour la descente ».  

Abordant la montagne, le poète brestois a pu exprimer les sentiments vécus et les muscles épuisés. Il se soumet aux hasards et aux fatigues de la route, il marche péniblement « dans des buissons piquants ». Malgré sa souffrance, Segalen ressent la jouissance dans l’ascension exigeant un grand effort musculaire. Au contraire, il déteste la descente molle. Ne dit-il pas : « Descendre est voisin de déchoir ».  

Arrivé à la cime de la montagne, Segalen est bouleversé par le paysage magnifique et les lointains invisibles et inaccessibles. Son corps s’est livré à « cette ivresse palpitante et dynamique ».Rien ne lui paraît que ce moment magique où la fatigue physique s’efface devant la joie qui le domine et le met dans un état d’extase. Cette émotion est engendrée par le contraste entre l’aise et l’effort, l’ivresse et la douleur, le monde intérieur et extérieur. Ainsi Segalen est si soumis à la maîtrise du milieu qui l’entoure qu’« il se plie aux défis physiques du voyage et fait l’éloge du sensuel, des exigences du réel ».